vendredi 4 mars 2011

Deuil

Debout, Incrusté dans le chambranle de la porte qui lui meurtrit la joue, le petit, paralysé par le chagrin essaye de percer la pénombre de la chambre.
Un grand cri silencieux cogne dans sa poitrine.
Près du lit les voisines, toutes noires, assises, laissent glisser entre leurs doigts ridés les grains de bois de leur chapelet.
-La pauvre elle était bien brave …
-Ah, on n’est pas grand-chose !
-Vous ne pensez pas qu’il faudrait garnir le linceul avec de la paille ? Elle est bien gonflée, vous savez quelque fois avec les gaz le ventre explose…
-Oh, pardon, tu es là, petit !
- Ta Mémé est au ciel maintenant, viens l’embrasser pour la dernière fois.
Une nausée amère aux lèvres le petit s’enfuit en courant, traverse la salle déchirée par les sanglots de maman derrière les volets clos.
Le jardin, l’odeur du mimosa bruissant d’abeilles et, plantée dans la terre fraîchement retournée, la grande bêche de Mémé. (De temps en temps elle interrompait son travail, petite silhouette fragile, et laissait reposer son front sur ses mains croisées.
-C’est de la peine, mais les petits pois seront bien bons)…
Comment accepter que cette délicieuse grand’mère ne soit plus qu’un « corps » comme disent les deux commères. Tétanisé par la douleur, fasciné, le petit regarde le rose obscène d’un ver interminable se tortiller entre les mottes…Tout à coup cette belle terre riche, luisante lui fait horreur.
Sa Mémé, sa tendresse, les jolies histoires qu’elle lui racontait, sera demain couchée sous cette même terre. Elle ira rejoindre tant et tant de ceux qui avaient été et qu’on ne verrait jamais plus.
Cette terre on lui avait appris à l’aimer, nourricière lui disait- on, dont il goûtait les fruits.
Le regard fixe, il sent monter en lui une rancune violente contre cette avaleuse de destins !
Dans le grand cerisier une tourterelle roucoule. Ce chant que Mémé aimait tant. Un signe. Peut être son âme ?
C’était quoi l’immortalité, la résurrection dont parlait Monsieur le curé au catéchisme ?
Le petit sait maintenant que Mémé vivra désormais avec lui, en lui.
Ses muscles se détendent enfin, un grand soupir, lentement de lourdes larmes éclatent contre la glaise dure.

2 commentaires:

  1. Bravo pour la fin, Manouche...
    Tant que quelqu'un se souvient d'un disparu, il n'est pas "mort".
    Celui qui laisse un souvenir ne meurt jamais
    P:))

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